D’une vie à l’autre
Texte supplémentaire ajouté le 25/02/2016
Depuis le mois d’octobre déjà, mon Instructeur* m’avait fait comprendre que je mourrais bientôt. Malgré ce rappel régulier les jours suivants, en fait, j’étais plutôt sceptique ; pourtant, force est de reconnaître que je suis mort comme cela a été dit. Seulement, ce ne fut pas la seule fois de mon vivant, ni la dernière fois.
Un soir du mois de décembre, il apparu et me dit : ”c’est le moment !” De toute évidence, depuis 7 ans, sans le savoir, j’avais été préparé précisément à cet événement. Sans le savoir, j’avais servis des intérêts plus grands ou plus modestes, dans le seul but d’apprendre la valeur de l’existence, d’ouvrir mon esprit à l’environnement, d’agrandir ma conscience. Ce soir-là, il était là, serein comme toujours ; la force vibratoire de cette consigne ne me permettait pas de sentir l’importance de cette décision, mais s’imposait d’une telle façon qu’elle ne me laissait d’autres choix que celui de le suivre dans un espace qui signerait, apparemment, aussitôt ma mort. Je n’avais pas peur de franchir cette étape, qui me paraissait curieusement, plutôt naturelle. ”Qu’est-ce que je dois faire ?” demandais-je. Une image frappa mon esprit signifiant que je devais procéder comme à un passage d’âme ; ”Ouvre une porte, comme tu as l’habitude de faire !” confirma la voix. Habituellement, j’ai plus de facilité à faire cet exercice quand une âme errante se manifeste dans mon champs de vision ; j’accède alors directement à son espace sans faire le moindre effort. Mais y entrer spontanément, je n’étais pas sûr d’être capable de le faire. ”Tu peux ouvrir une porte à n’importe quel endroit”, me dit-il. Comme si cela tombait sous le sens, mes mains ont commencé à tâter l’espace. Une certaine consistance me précisa ce que je cherchais et il me paru possible de la saisir ; c’était la première fois que je me rendais compte de cette faculté pour le moins inhabituelle. Un trou se forma, s’ouvrit de plus en plus, et me parut bientôt assez grand pour me laisser entrer. ”Allons-y” entendis-je. Aussitôt, j’entrais dans le plan intermédiaire.
C’est un espace qui en sépare deux autres ; de cette idée concrète, il y a donc notre plan d’existence, celui où vous pouvez lire ce texte, le plan intermédiaire (le tunnel), et enfin le plan des âmes (la lumière au bout du tunnel), le lieu que toutes les âmes atteignent lorsqu’elles sont désincarnées. Le plan intermédiaire, quant à lui, est plongé dans une obscurité envahissante et étrangement lumineuse, sans haut ni bas, sans profondeur, sans espace, sans temps. Il a prit plusieurs nom au cours des millénaires, mais présente généralement toujours le même genre de descriptions. On a l’impression d’être incapable de savoir comment s’orienter (sauf quand la lumière d’une âme apparaît) et aucune notion de mouvement n’est mesurable dans cet espace (d’où cette idée d’âme perdue). Les âmes désincarnées qui s’y trouvent coincées sont moins bien loties que celles qui se trouvent dans notre plan d’existence. Cependant, elles sont beaucoup plus proche vibratoirement du plan des âmes que les autres, ce qui signifie qu’il ne leurs reste plus beaucoup de leur bagage émotionnel (matière) pour accéder au plan suivant. C’est une étape nécessaire (parfois), très difficile et transfigurante.
Ce soir-là, je m’étais donc entièrement engagé dans le plan intermédiaire. Puis, la brèche ouverte depuis le plan de l’existence s’était refermée derrière moi. Je me retrouvais dans un espace que je croyais connaître et qui s’avéra complètement étranger à ma conscience. Pendant un instant, je me suis senti attiré par cet espace et cherchait en vain à en sonder la profondeur ; mais il était de toute part si infini que brusquement, cette absence d’information me fit peur. Je compris immédiatement le sentiment terrifiant qu’éprouvaient les âmes désincarnées que j’avais questionné, complètement désorienté, coincés entre deux mondes et incapables de bouger, incapables de trouver une issue à leur condition. La peur de rester coincer à mon tour me saisit. Je sentais mon corps se charger d’une angoisse indescriptible. Sans plus attendre, mon Instructeur apparut à mes côtés et sa présence me rassura. Comme s’il avait suivit chacune de mes pensées, il me dit ”ouvre une porte de la façon que tu sais le faire !” En me concentrant, je devinais un peu de consistance, dans cet espace où les perceptions me semblait pourtant absente. Intuitivement, j’avançais les mains et touchait une surface qui me paru bien réelle. ”Tu vois, tu peux ouvrir une porte à n’importe quel endroit”. L’espace s’ouvrit devant moi, et sans attendre, je me précipitais en avant. Je quittais ce lieu sombre pour entrer dans la lumière. L’endroit était tout blanc. Peu à peu, je découvrais une volée de marches, des colonnes à droites et à gauches, serrées les unes des autres, un sol lisse et blanc, qu’on aurait dit du marbre. Il y avait devant moi des centaines de personnes qui semblaient m’accueillir avec une joie non dissimulée ; leur visage étaient rayonnant de bonheur de me retrouver. C’était une ambiance de fête. La joie communicative de toutes ces personnes me rendait à mon tour plein de liesse. Je n’ai cependant pas reconnu tout le monde, et beaucoup de visages m’étaient inconnus ; il y avait cependant un couple d’âme que j’avais aidé à passer, un oncle que j’aimais beaucoup, des parents. C’était troublant et merveilleux à la fois. L’Instructeur qui se tenait toujours a côté de moi me dit : ”Voilà, maintenant, tu ne peux plus retourner en arrière”. Quoi c’est tout ? C’est donc ça la mort à laquelle on me demandait de me préparer depuis 2 mois ? À dire vrai, j’ai pensé que tout ceci n’était qu’une blague, un rêve, une hallucination, mon imagination, qu’il me suffirait de réintégrer mon corps pour me fiche de ma candeur à suivre des instructions plus farfelues les unes que les autres. Comme pour me prouver que j’avais raison, j’ai donc tenté de revenir en arrière, d’ouvrir une porte, de sentir la matière se préciser sous ma main, de franchir chaque espace, pour réintégrer mon corps et me marrer. J’ai essayé, en vain. Pour la première fois, j’éprouvais une résistance qui dépassait ma volonté. C’était invraisemblable. En fait, je suis quand même revenu dans mon corps quelques secondes plus tard. Ce fut très rapide. En prenant possession de mon corps, c’était perceptiblement évident que quelque chose en moi avait changé. J’ai compris plus tard que, d’une certaine façon, j’étais bien mort ce jour-là ; ce n’était pas une mort physique, au sens où nous l’entendons, mais il me semble que j’ai assisté en direct à la mort d’un état de conscience et à mon passage à un autre état de conscience, un changement de paradigme qui a la valeur d’une mort. Comme pour en avoir le coeur net, j’ai suivi le même parcours quelques jours plus tard, cette fois-ci sans la présence de l’Instructeur (il n’était pas très loin ceci dit). Je m’attendais donc à voir pleins de gens, bienheureux, plein d’amour et une ambiance festive. Or, arrivé de l’autre côté, il n’y eut personne pour m’accueillir, et mis à part le décors qui était le même, le lieu me sembla bien vide et froid. Tout à coup, je vis une âme blanche passer entre les colonnes. Bien que visiblement pressée, elle s’arrêta et tourna son regard vers moi. ”Eh bien, qu’est-ce que tu fais-là ?” sembla-t-elle me demander d’un air surpris. Et pouf ! Je réintégrais subitement mon corps sans ménagement. Par la suite, j'ai effectué d'autres observations en suivant par exemple les personnes que j'aidais à passer dans l'au-delà. Bien qu'à l'écart, j'ai pu assister à de nombreuses scènes identiques, mettant en avant l'accueil du défunt au seuil de l'existence terrestre. J'aime à penser depuis ce moment-là que la mort n'est vraiment qu'une étape, et que la vie demande à être vécue le plus intensément possible avant de passer à autre chose.
L'extrait du livre suivant me semble suffisamment pertinent pour le placer en parallèle avec ma propre expérience. Il présente également une bonne description du calvaire vécu par les âmes errantes et que j'ai ressenti dans cet espace jusqu'à leur libération (voir texte du 08/11/15). Les lignes parallèles rappellent quant à elles la « polyligne du temps » que j'explique dans l'article du 06/06/2014.
« Je ressentis l’ordre d’examiner l’endroit où nous nous trouvions. Au premier regard, je me souvins clairement d’avoir déjà vu ces lieux. Nous étions entourés par de petites éminences arrondies qui ressemblaient tout à fait à des dunes de sable. Il y en avait partout autour de nous, dans toutes les directions, jusqu’à l’horizon. Elles semblaient faites d’une substance semblable à du grès jaune clair, ou à des granulés grossiers de soufre. Le ciel était de la même couleur lui aussi ; il était très bas, oppressant. Il y avait des nappes de brume jaunâtre, ou bien une sorte de vapeur jaune suspendue à certains points du ciel. Je remarquai alors que nous avions l’air de respirer, la Gorda et moi. Je ne parvenais pas à toucher ma poitrine avec mes mains, mais je pouvais la deviner qui se gonflait à chaque inspiration. De toute évidence, les vapeurs jaunes n’étaient pas nocives pour nous. Nous commençâmes à nous déplacer en cadence, lentement, avec précaution, presque comme si nous marchions. Après avoir parcouru une faible distance, je fus très fatigué, et la Gorda aussi. Nous glissions juste au-dessus du sol, et apparemment se déplacer ainsi était très épuisant pour notre attention seconde ; cela exigeait un degré démesuré de concentration. Nous ne nous efforcions pas volontairement d’imiter notre démarche ordinaire, mais le résultat exigeait des sursauts d’énergie comme de petites explosions, suivies par un temps d’arrêt. Notre mouvement n’avait aucun but – en dehors du fait de nous déplacer – et bientôt nous fûmes contraints à nous immobiliser. La Gorda me parla. Sa voix était si faible que j’eus du mal à la comprendre. Elle me dit que, sans y prêter garde, nous étions en train de nous diriger vers des régions plus lourdes, et que si nous continuions d’avancer dans cette direction, la pression deviendrait si forte que nous mourrions. Machinalement, nous fîmes demi-tour pour revenir sur nos pas. Mais l’impression de fatigue ne cessa pas. Notre épuisement devint tel que nous fûmes obligés de renoncer à notre position verticale. Nous nous effondrâmes, et sans savoir par avance ce que nous allions faire, nous adoptâmes la position de rêve. Je m’éveillai instantanément dans mon bureau.
[...] Elle ajouta qu’elle s’était déjà rendue dans cet endroit désert elle aussi, et elle tenait pour acquis qu’il s’agissait d’un no man’s land : l’espace entre le monde que nous connaissons et l’autre monde.
- C’est la région entre les lignes parallèles, poursuivit-elle. Nous pouvons nous y rendre en rêve. Mais pour quitter ce monde et accéder à l’autre – celui qui se trouve au-delà des lignes parallèles – il nous faut traverser cette zone avec nos corps tout entiers.
[...] Cette fois-là, à la requête de Silvio Manuel, don Juan avait rassemblé la femme Nagual, la Gorda et moi-même. Don Juan m’avait dit que le motif de notre réunion était le fait que j’étais entré, par mes propres moyens mais sans savoir comment, dans un repli de conscience – état particulier qui constituait le site de la forme la plus aiguë de l’attention. J’avais déjà atteint auparavant cet état, que don Juan avait appelé le « côté gauche-gauche », mais de façon beaucoup trop brève et toujours avec son aide. L’un des points essentiels, celui qui avait le plus de valeur pour nous tous, dans l’entourage de don Juan, était que pendant notre séjour dans cet état, nous avions la capacité de percevoir une nappe de brume colossale. Chaque fois que j’étais capable de la percevoir, elle était toujours sur ma droite, elle s’étendait jusqu’à l’horizon et remontait à l’infini, divisant ainsi le monde en deux parties. Ce mur de brouillard pivotait vers la droite ou la gauche à mesure que je tournais la tête, et je n’avais donc aucun moyen de me trouver face à lui. Le jour en question, don Juan et Silvio Manuel me parlèrent tous les deux du mur de brouillard. Je me rappelai qu’au moment où Silvio Manuel s’était tu, il avait saisi la Gorda par la peau de la nuque, comme un chaton, puis il avait disparu dans la nappe de brume avec elle. J’avais eu une fraction de seconde pour observer leur disparition, parce que don Juan, je ne sais comment, avait réussi à me placer, moi aussi, face au mur. Il ne me souleva pas par la peau du cou mais me bouscula dans le brouillard ; et tout aussitôt, je m’aperçus que j’avais sous les yeux la plaine désolée. Don Juan, Silvio Manuel, la femme Nagual et la Gorda étaient là, eux aussi. Je ne remarquai pas ce qu’ils faisaient. J’étais accablé par un sentiment déplaisant, effrayant d’oppression – un épuisement, une difficulté de respirer vraiment affolante. Je perçus que j’étais debout à l’intérieur d’une grotte basse de plafond, jaune, étouffante ; la sensation physique de pression était si accablante que je n’eus plus la force de respirer. C’était comme si toutes mes fonctions physiques s’étaient arrêtées. Je ne pouvais sentir aucune partie de mon corps. Pourtant je parvenais à me déplacer, à marcher, à allonger le bras, à tourner la tête... Je posai les mains sur mes cuisses : il n’y eut aucune sensation, ni dans mes cuisses ni sous la paume de mes mains. Mes jambes et mes bras étaient là, sur le plan de la vue mais non sur celui du toucher. Sous l’impulsion de la peur démesurée que je ressentais, je saisis la femme Nagual par le bras et je lui fis perdre l’équilibre. Mais ce n’était pas ma force musculaire qui l’avait tirée. C’était une force emmagasinée ni dans mes muscles ni dans mon squelette, mais au centre même de mon corps. Afin de faire jouer cette force de nouveau, je saisis la Gorda. La violence de ma traction la fit sursauter, et je compris : l’énergie utilisée pour déplacer les deux femmes provenait d’une protubérance en forme de bâton qui avait agi sur elles comme un tentacule. Elle était axée sur le point médian de mon corps. Vérifier tout cela ne m’avait pris qu’un instant ; à la seconde suivante j’étais revenu dans le même état d’angoisse et de frayeur physique, J’adressai à Silvio Manuel une prière muette. A la façon dont il répondit à mon regard, je me jugeai perdu. Ses yeux étaient froids et indifférents. Quant à don Juan, il me tourna le dos. Je me mis à trembler de tout mon corps, accablé par une terreur physique dépassant l’entendement. Je crus que le sang dans mon corps était en train de bouillir, non point à cause de la chaleur mais parce que ma pression intérieure montait, montait au point de me faire éclater. Don Juan me donna l’ordre de me détendre et de m’abandonner à la mort. Il me dit que je devais rester là jusqu’à ce que je meure : j’avais la possibilité, soit de mourir en paix, si je faisais le suprême effort de laisser ma terreur me posséder, soit de mourir au supplice, si je choisissais de lutter contre elle. Silvio Manuel me parla – ce qui lui arrivait rarement. Il me dit que l’énergie dont j’avais besoin pour assumer ma terreur se trouvait dans mon point médian, et que le seul moyen de réussir était d’acquiescer, de me soumettre sans capituler. La femme Nagual et la Gorda étaient d’un calme parfait. J’étais le seul au supplice. Silvio Manuel me dit qu’à la façon dont je gaspillais l’énergie, j’étais déjà à deux doigts de la fin ; je pouvais me considérer comme déjà mort. Don Juan fit signe à la femme Nagual et à la Gorda de le suivre. Ils me tournèrent tous les trois le dos. Je ne vis pas ce qu’ils firent d’autre. Je sentis une vibration puissante me traverser. Je me dis que c'était sûrement le frisson de la mort, et que ma lutte était terminée. Je cessai de me ronger. Je lâchai les rênes à la terreur insupportable qui était en train de me tuer. Mon corps (ou la configuration que je considérais comme mon corps, quelle qu’elle fût) se détendit et s’abandonna à sa mort. A l’instant où je laissai la terreur entrer (ou peut-être sortir) de moi, je sentis et je vis une vapeur ténue – une tache blanchâtre sur le décor jaune soufre – quitter mon corps. Don Juan revint près de moi et m’examina avec curiosité. Silvio Manuel s’écarta et saisit de nouveau la Gorda par la peau du cou. Je vis clairement qu’il la lançait de toutes ses forces dans la nappe de brume, comme une poupée de chiffon géante. Puis il y entra à son tour et disparut. La femme Nagual m’invita d’un geste à pénétrer dans le brouillard. Je m’avançai vers elle, mais avant que je parvienne à ses côtés don Juan me donna une poussée énergique qui me propulsa à travers le brouillard jaune dense. Je ne chancelai pas sur mes jambes, je glissai à travers la brume – pour atterrir la tête la première dans le monde...
[...] Elle ajouta d’autres détails.
– La femme Nagual et moi n’avions pas peur de mourir, dit-elle. Le Nagual nous avait dit qu’il avait fallu vous forcer à abandonner votre fixation, mais ce n’était pas nouveau. Tous les guerriers mâles doivent être contraints par la peur. Silvio Manuel m’avait déjà emmenée trois fois derrière ce mur pour m’apprendre à me détendre. Il disait que si vous me voyiez à l’aise, cela rejaillirait sur vous, et c’est ce qui s’est produit. Vous avez renoncé, et vous vous êtes détendu.
– Avez-vous eu du mal, vous aussi, à apprendre à vous détendre ? lui demandai-je.
– Non, c’est l’enfance de l’art pour une femme, dit-elle. Quel avantage, n’est-ce pas ? La seule difficulté c’est que nous devons être transportées là-bas. Nous ne pouvons pas nous y rendre toutes seules.
– Et pourquoi, la Gorda ? demandai-je.
– Il faut être très lourd pour traverser, et les femmes sont légères, dit-elle. Trop légères en fait.
– Mais... la femme Nagual ? Je n’ai vu personne la transporter.
– La femme Nagual était spéciale, répondit la Gorda. Elle pouvait tout faire toute seule. Elle pouvait m’emmener là-bas, et même vous y conduire. Elle pouvait même traverser cette plaine déserte, ce qui, selon le Nagual, était obligatoire pour tous les pèlerins qui voyagent au sein de l’inconnu.
– Pourquoi la femme Nagual est-elle entrée là-bas avec moi ? demandai-je.
– Silvio Manuel nous a emmenés tous pour vous seconder. Il pensait que vous aviez besoin du soutien de deux femmes et de deux hommes à vos côtés. Silvio Manuel estimait qu’il fallait vous protéger des entités qui arpentent ces lieux, toujours aux aguets. Les alliés viennent de cette plaine déserte. Ainsi que d’autres choses, encore plus féroces.
– Vous étiez protégée vous aussi ? demandai-je.
– Je n’ai pas besoin de protection. Je suis une femme. Je suis libre de tout ça. Mais nous pensions tous que vous vous trouviez dans un mauvais pas. Vous étiez le Nagual – et un Nagual stupide. Nous pensions que l’un de ces alliés féroces – appelez-les démons, si vous voulez – risquait de vous détruire ou de vous écarteler. C’est ce que disait Silvio Manuel. Il nous avait emmenés pour protéger vos quatre coins. Mais le plus drôle, c’est que ni le Nagual ni Silvio Manuel n’aient pas compris que vous n’aviez pas besoin de nous. Nous étions censés marcher un certain temps jusqu’à ce que vous perdiez votre énergie. Puis Silvio Manuel devait vous faire peur, en dirigeant les alliés vers vous, et en leur faisant signe de se précipiter sur vous. Le Nagual et lui avaient prévu de vous aider par degrés. C’est la règle. Mais tout s’est mal passé : à l’instant où vous êtes entré là-bas, vous êtes devenu fou. Vous n’aviez pas avancé d’un doigt, et déjà vous étiez à l’agonie. Vous aviez une terreur mortelle, avant même d’avoir vu les alliés ! Silvio Manuel m’a expliqué qu’il n’avait su que faire. Il vous a alors soufflé à l’oreille la dernière chose qu’il était censé vous dire : de renoncer ; de vous soumettre sans capituler. Vous êtes devenu calme aussitôt, de vous-même Et ils n’ont pas eu besoin de faire tout ce qu’ils avaient prévu. Le Nagual et Silvio Manuel se sont bornés à nous faire sortir de là-bas. »
Supplément ajouté le 25 février 2016
L'extrait du livre suivant me semble suffisamment pertinent pour le placer en parallèle avec ma propre expérience. Il présente également une bonne description du calvaire vécu par les âmes errantes et que j'ai ressenti dans cet espace jusqu'à leur libération (voir texte du 08/11/15). Les lignes parallèles rappellent quant à elles la « polyligne du temps » que j'explique dans l'article du 06/06/2014.
« Le don de l'aigle » Carlos Castadena, page 213 à 222
« Je ressentis l’ordre d’examiner l’endroit où nous nous trouvions. Au premier regard, je me souvins clairement d’avoir déjà vu ces lieux. Nous étions entourés par de petites éminences arrondies qui ressemblaient tout à fait à des dunes de sable. Il y en avait partout autour de nous, dans toutes les directions, jusqu’à l’horizon. Elles semblaient faites d’une substance semblable à du grès jaune clair, ou à des granulés grossiers de soufre. Le ciel était de la même couleur lui aussi ; il était très bas, oppressant. Il y avait des nappes de brume jaunâtre, ou bien une sorte de vapeur jaune suspendue à certains points du ciel. Je remarquai alors que nous avions l’air de respirer, la Gorda et moi. Je ne parvenais pas à toucher ma poitrine avec mes mains, mais je pouvais la deviner qui se gonflait à chaque inspiration. De toute évidence, les vapeurs jaunes n’étaient pas nocives pour nous. Nous commençâmes à nous déplacer en cadence, lentement, avec précaution, presque comme si nous marchions. Après avoir parcouru une faible distance, je fus très fatigué, et la Gorda aussi. Nous glissions juste au-dessus du sol, et apparemment se déplacer ainsi était très épuisant pour notre attention seconde ; cela exigeait un degré démesuré de concentration. Nous ne nous efforcions pas volontairement d’imiter notre démarche ordinaire, mais le résultat exigeait des sursauts d’énergie comme de petites explosions, suivies par un temps d’arrêt. Notre mouvement n’avait aucun but – en dehors du fait de nous déplacer – et bientôt nous fûmes contraints à nous immobiliser. La Gorda me parla. Sa voix était si faible que j’eus du mal à la comprendre. Elle me dit que, sans y prêter garde, nous étions en train de nous diriger vers des régions plus lourdes, et que si nous continuions d’avancer dans cette direction, la pression deviendrait si forte que nous mourrions. Machinalement, nous fîmes demi-tour pour revenir sur nos pas. Mais l’impression de fatigue ne cessa pas. Notre épuisement devint tel que nous fûmes obligés de renoncer à notre position verticale. Nous nous effondrâmes, et sans savoir par avance ce que nous allions faire, nous adoptâmes la position de rêve. Je m’éveillai instantanément dans mon bureau.
[...] Elle ajouta qu’elle s’était déjà rendue dans cet endroit désert elle aussi, et elle tenait pour acquis qu’il s’agissait d’un no man’s land : l’espace entre le monde que nous connaissons et l’autre monde.
- C’est la région entre les lignes parallèles, poursuivit-elle. Nous pouvons nous y rendre en rêve. Mais pour quitter ce monde et accéder à l’autre – celui qui se trouve au-delà des lignes parallèles – il nous faut traverser cette zone avec nos corps tout entiers.
[...] Cette fois-là, à la requête de Silvio Manuel, don Juan avait rassemblé la femme Nagual, la Gorda et moi-même. Don Juan m’avait dit que le motif de notre réunion était le fait que j’étais entré, par mes propres moyens mais sans savoir comment, dans un repli de conscience – état particulier qui constituait le site de la forme la plus aiguë de l’attention. J’avais déjà atteint auparavant cet état, que don Juan avait appelé le « côté gauche-gauche », mais de façon beaucoup trop brève et toujours avec son aide. L’un des points essentiels, celui qui avait le plus de valeur pour nous tous, dans l’entourage de don Juan, était que pendant notre séjour dans cet état, nous avions la capacité de percevoir une nappe de brume colossale. Chaque fois que j’étais capable de la percevoir, elle était toujours sur ma droite, elle s’étendait jusqu’à l’horizon et remontait à l’infini, divisant ainsi le monde en deux parties. Ce mur de brouillard pivotait vers la droite ou la gauche à mesure que je tournais la tête, et je n’avais donc aucun moyen de me trouver face à lui. Le jour en question, don Juan et Silvio Manuel me parlèrent tous les deux du mur de brouillard. Je me rappelai qu’au moment où Silvio Manuel s’était tu, il avait saisi la Gorda par la peau de la nuque, comme un chaton, puis il avait disparu dans la nappe de brume avec elle. J’avais eu une fraction de seconde pour observer leur disparition, parce que don Juan, je ne sais comment, avait réussi à me placer, moi aussi, face au mur. Il ne me souleva pas par la peau du cou mais me bouscula dans le brouillard ; et tout aussitôt, je m’aperçus que j’avais sous les yeux la plaine désolée. Don Juan, Silvio Manuel, la femme Nagual et la Gorda étaient là, eux aussi. Je ne remarquai pas ce qu’ils faisaient. J’étais accablé par un sentiment déplaisant, effrayant d’oppression – un épuisement, une difficulté de respirer vraiment affolante. Je perçus que j’étais debout à l’intérieur d’une grotte basse de plafond, jaune, étouffante ; la sensation physique de pression était si accablante que je n’eus plus la force de respirer. C’était comme si toutes mes fonctions physiques s’étaient arrêtées. Je ne pouvais sentir aucune partie de mon corps. Pourtant je parvenais à me déplacer, à marcher, à allonger le bras, à tourner la tête... Je posai les mains sur mes cuisses : il n’y eut aucune sensation, ni dans mes cuisses ni sous la paume de mes mains. Mes jambes et mes bras étaient là, sur le plan de la vue mais non sur celui du toucher. Sous l’impulsion de la peur démesurée que je ressentais, je saisis la femme Nagual par le bras et je lui fis perdre l’équilibre. Mais ce n’était pas ma force musculaire qui l’avait tirée. C’était une force emmagasinée ni dans mes muscles ni dans mon squelette, mais au centre même de mon corps. Afin de faire jouer cette force de nouveau, je saisis la Gorda. La violence de ma traction la fit sursauter, et je compris : l’énergie utilisée pour déplacer les deux femmes provenait d’une protubérance en forme de bâton qui avait agi sur elles comme un tentacule. Elle était axée sur le point médian de mon corps. Vérifier tout cela ne m’avait pris qu’un instant ; à la seconde suivante j’étais revenu dans le même état d’angoisse et de frayeur physique, J’adressai à Silvio Manuel une prière muette. A la façon dont il répondit à mon regard, je me jugeai perdu. Ses yeux étaient froids et indifférents. Quant à don Juan, il me tourna le dos. Je me mis à trembler de tout mon corps, accablé par une terreur physique dépassant l’entendement. Je crus que le sang dans mon corps était en train de bouillir, non point à cause de la chaleur mais parce que ma pression intérieure montait, montait au point de me faire éclater. Don Juan me donna l’ordre de me détendre et de m’abandonner à la mort. Il me dit que je devais rester là jusqu’à ce que je meure : j’avais la possibilité, soit de mourir en paix, si je faisais le suprême effort de laisser ma terreur me posséder, soit de mourir au supplice, si je choisissais de lutter contre elle. Silvio Manuel me parla – ce qui lui arrivait rarement. Il me dit que l’énergie dont j’avais besoin pour assumer ma terreur se trouvait dans mon point médian, et que le seul moyen de réussir était d’acquiescer, de me soumettre sans capituler. La femme Nagual et la Gorda étaient d’un calme parfait. J’étais le seul au supplice. Silvio Manuel me dit qu’à la façon dont je gaspillais l’énergie, j’étais déjà à deux doigts de la fin ; je pouvais me considérer comme déjà mort. Don Juan fit signe à la femme Nagual et à la Gorda de le suivre. Ils me tournèrent tous les trois le dos. Je ne vis pas ce qu’ils firent d’autre. Je sentis une vibration puissante me traverser. Je me dis que c'était sûrement le frisson de la mort, et que ma lutte était terminée. Je cessai de me ronger. Je lâchai les rênes à la terreur insupportable qui était en train de me tuer. Mon corps (ou la configuration que je considérais comme mon corps, quelle qu’elle fût) se détendit et s’abandonna à sa mort. A l’instant où je laissai la terreur entrer (ou peut-être sortir) de moi, je sentis et je vis une vapeur ténue – une tache blanchâtre sur le décor jaune soufre – quitter mon corps. Don Juan revint près de moi et m’examina avec curiosité. Silvio Manuel s’écarta et saisit de nouveau la Gorda par la peau du cou. Je vis clairement qu’il la lançait de toutes ses forces dans la nappe de brume, comme une poupée de chiffon géante. Puis il y entra à son tour et disparut. La femme Nagual m’invita d’un geste à pénétrer dans le brouillard. Je m’avançai vers elle, mais avant que je parvienne à ses côtés don Juan me donna une poussée énergique qui me propulsa à travers le brouillard jaune dense. Je ne chancelai pas sur mes jambes, je glissai à travers la brume – pour atterrir la tête la première dans le monde...
[...] Elle ajouta d’autres détails.
– La femme Nagual et moi n’avions pas peur de mourir, dit-elle. Le Nagual nous avait dit qu’il avait fallu vous forcer à abandonner votre fixation, mais ce n’était pas nouveau. Tous les guerriers mâles doivent être contraints par la peur. Silvio Manuel m’avait déjà emmenée trois fois derrière ce mur pour m’apprendre à me détendre. Il disait que si vous me voyiez à l’aise, cela rejaillirait sur vous, et c’est ce qui s’est produit. Vous avez renoncé, et vous vous êtes détendu.
– Avez-vous eu du mal, vous aussi, à apprendre à vous détendre ? lui demandai-je.
– Non, c’est l’enfance de l’art pour une femme, dit-elle. Quel avantage, n’est-ce pas ? La seule difficulté c’est que nous devons être transportées là-bas. Nous ne pouvons pas nous y rendre toutes seules.
– Et pourquoi, la Gorda ? demandai-je.
– Il faut être très lourd pour traverser, et les femmes sont légères, dit-elle. Trop légères en fait.
– Mais... la femme Nagual ? Je n’ai vu personne la transporter.
– La femme Nagual était spéciale, répondit la Gorda. Elle pouvait tout faire toute seule. Elle pouvait m’emmener là-bas, et même vous y conduire. Elle pouvait même traverser cette plaine déserte, ce qui, selon le Nagual, était obligatoire pour tous les pèlerins qui voyagent au sein de l’inconnu.
– Pourquoi la femme Nagual est-elle entrée là-bas avec moi ? demandai-je.
– Silvio Manuel nous a emmenés tous pour vous seconder. Il pensait que vous aviez besoin du soutien de deux femmes et de deux hommes à vos côtés. Silvio Manuel estimait qu’il fallait vous protéger des entités qui arpentent ces lieux, toujours aux aguets. Les alliés viennent de cette plaine déserte. Ainsi que d’autres choses, encore plus féroces.
– Vous étiez protégée vous aussi ? demandai-je.
– Je n’ai pas besoin de protection. Je suis une femme. Je suis libre de tout ça. Mais nous pensions tous que vous vous trouviez dans un mauvais pas. Vous étiez le Nagual – et un Nagual stupide. Nous pensions que l’un de ces alliés féroces – appelez-les démons, si vous voulez – risquait de vous détruire ou de vous écarteler. C’est ce que disait Silvio Manuel. Il nous avait emmenés pour protéger vos quatre coins. Mais le plus drôle, c’est que ni le Nagual ni Silvio Manuel n’aient pas compris que vous n’aviez pas besoin de nous. Nous étions censés marcher un certain temps jusqu’à ce que vous perdiez votre énergie. Puis Silvio Manuel devait vous faire peur, en dirigeant les alliés vers vous, et en leur faisant signe de se précipiter sur vous. Le Nagual et lui avaient prévu de vous aider par degrés. C’est la règle. Mais tout s’est mal passé : à l’instant où vous êtes entré là-bas, vous êtes devenu fou. Vous n’aviez pas avancé d’un doigt, et déjà vous étiez à l’agonie. Vous aviez une terreur mortelle, avant même d’avoir vu les alliés ! Silvio Manuel m’a expliqué qu’il n’avait su que faire. Il vous a alors soufflé à l’oreille la dernière chose qu’il était censé vous dire : de renoncer ; de vous soumettre sans capituler. Vous êtes devenu calme aussitôt, de vous-même Et ils n’ont pas eu besoin de faire tout ce qu’ils avaient prévu. Le Nagual et Silvio Manuel se sont bornés à nous faire sortir de là-bas. »
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